Style Napoléon III / Ref.03134

Théophile SOYER : "Le Printemps", vers 1880

Émail polychrome et translucide peint sur cuivre

Une jeune femme aux longs cheveux mordorés ceints d’une guirlande de fleurs, cueille des iris qu’elle s’apprête à déposer dans le petit panier qu’elle tient sous son bras droit. Elle semble ainsi évoquer une représentation du Printemps, proche de la figure de Flore dans les tableaux mythologiques composés autour de ce thème. Le paysage dans lequel elle se situe rappelle l’influence du japonisme : construit au moyen de grands aplats de couleurs juxtaposés, il acquiert une certaine profondeur uniquement grâce à la présence de lignes courbes. Ce goût pour l’arabesque se remarque également dans l’ondulation qui parcourt le corps de la jeune femme, dans l’envol sinueux du voile blanc et dans les boucles de sa chevelure. Cette stylisation provoquée par l’aspect plat du paysage et la forte présence des arabesques forme un vif contraste avec le traitement du visage et des bras de la femme, dont le modelé des chairs gris-rose reste plus classique. Elle s’oppose aussi au naturalisme des iris.
L’œuvre se distingue par sa virtuosité technique et par l’emploi d’un émail translucide, qui laisse apparaître le métal sous-jacent. L’éclat des couleurs est accentué par ce procédé qui les rend particulièrement vibrantes. La luminosité de l’émail est plus vive encore sur le cadre, suggérant le volume des fruits et la fraîcheur des feuilles de vigne vierge, cerclées de métal et découpées à jour.

Œuvre conjointe d’un émailleur, Théophile Soyer, et d’un dessinateur, Eugène Grasset, ce petit objet reprend le motif d’une verrière, intitulée Le Printemps et conservée au Musée des Arts Décoratifs de Paris (Inv. 8003). Elle fut exposée, avec son pendant Après-midi d’Automne, dans la section Architecture du Salon du Champ de Mars en 1894. De la même façon que pour cet émail dont la réalisation nécessita l’intervention de deux artistes, la verrière fut dessinée par Eugène Grasset et réalisée par Félix Gaudin, maître verrier. Ceci nous mène à proposer une datation légèrement postérieure pour notre plateau. Là où le vitrail joue sur un aspect graphique marqué, notamment dans les drapés, et sur des cernes noirs pour délimiter les plages de couleur, le tableau d’émail arbore sur un aspect plus calme, moins marqué par les lignes du dessin. Les drapés ont ainsi des plis beaucoup plus doux. L’arrière-plan n’est pas le même dans les deux œuvres, mais il s’agit tout de même d’un paysage de prairies. Les couleurs ne sont pas non plus identiques : là où le vitrail va utiliser des couleurs pastels, l’émail va nous donner à voir son plus beau rouge ou ses plus belles nuances de violet dans les iris. Par conséquent, si c’est bien Eugène Grasset qui a fourni le modèle pour ces deux œuvres, on peut sans aucun doute remarquer l’indépendance créative et la liberté prise par Théophile Soyer dans la réalisation de l’émail.

Né en 1845 à Lausanne d’un père ébéniste et sculpteur, Eugène Grasset entre au Polytechnicum de Zurich en 1861, afin de suivre des cours d’architecture. Il se fixe à Paris en 1871 et devient ami avec Charles Gillot, pionnier de la photogravure et grand admirateur du Japon. C’est d’ailleurs pour ce dernier qu’il concevra le mobilier de salle à manger aujourd’hui conservé au Musée des Arts Décoratifs. Par la suite, il dessinera bon nombre d’affiches, notamment pour la pièce Jeanne d’Arc avec Sarah Bernhardt. Le motif qui reste aujourd’hui le plus connu d’Eugène Grasset est celui de la Semeuse figurant au fronton des éditions Larousse. Il dessina de nombreux projets destinés aux arts appliqués, notamment des bijoux : le plateau que nous présentons ici est tout à fait représentatif de cette pratique et de l’époque, où peinture et arts décoratifs étaient étroitement liés.

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