Style Japonisme / Ref.11952

Albert-Ernest Carrier-Belleuse, Manufacture de Sèvres, Vase Kin-Te-Tchin garni, 1884

Cette paire de vases en porcelaine montés en bronze doré a été réalisée par Albert-Ernest Carrier-Belleuse en 1884. Cette même année, l’artiste était alors directeur des travaux d’art de la Manufacture de Sèvres, poste qu’il occupa à partir de 1875 jusqu’à sa mort en 1887.

Nos vases à panse galbée sont recouverts d’un émail bleu foncé agrémenté de coulures d’un bleu plus clair, et sont ornés de deux mascarons représentant des chimères portant un anneau dans leur gueule en partie haute. Le col ainsi que le socle des vases sont montés en bronze dorée et ont reçu une patine sombre. La simplicité des lignes en partie haute est contrebalancée par le décor de feuilles d’acanthe à la base. Ce type de vase, dit Kin-Te-Tchin, est une forme originale d ‘Albert-Ernest Carrier-Belleuse, créateur de nombreux modèles très imaginatifs de vases et de petites sculptures pendant ses années en tant que directeur des arts à la Manufacture de Sèvres. Ses œuvres ont eu une influence certaine sur les arts décoratifs sous le Second Empire, d’autant plus qu’il a largement œuvré pour un rapprochement entre les objets d’art et les produits de l’industrie.

L’inspiration de ces vases est très probablement chinoise, comme le nom Kin-Te-Tchin semble l’indiquer. On peut le rapprocher formellement des vases Fang Hu, largement produits par les fours officiels de Kin-Te-Tchin – actuellement appelée Jingdezhen en chinois moderne – afin d’imiter les bronzes archaïques chinois. Kin-Te-Tchin est longtemps restée la capitale de la porcelaine chinoise, grâce au niveau de perfection atteint depuis le XIVe siècle dans la translucidité et l’éclat de leur porcelaine. Le répertoire issu de la Renaissance italienne est une autre source d’inspiration récurrente chez Carrier-Belleuse, dont les mascarons semblent provenir. En effet, déjà présente dans le vocabulaire ornemental étrusque dans l’Antiquité, la chimère a largement été utilisée par les artistes et ornemanistes dans l’Italie des XVe et XVIe siècles. Enfin, le décor relativement sobre des bronzes est enrichi par la présence des feuilles d’acanthe, élément récurrent d’un classicisme qui s’exprime en architecture comme dans les arts décoratifs.

Il est également important de noter que la couverte à coulures du vase, par ailleurs d’une grande élégance, est due à un engouement pour les décors de coulures des porcelaines chinoises au XIXe siècle, techniquement difficile à mettre en place pour les manufactures européennes avant 1884. L’apparition du modèle de vase Kin-Te-Tchin est donc le corollaire de la récente maîtrise de ce procédé décoratif par la manufacture de Sèvres. Les difficultés majeures étaient la maîtrise des oxydes d’une part et celle des fours d’une autre. En effet, les oxydes sont particulièrement sensible et réactifs aux températures, à l’atmosphère et à la nature des fondants, rendant les cuissons assez souvent hasardeuses et produisant des résultats étonnants. Notre vase est un exemplaire paradigmatique, par la gradation maîtrisée de ses coloris, à même de pouvoir illustrer la virtuosité des ateliers de la manufacture de Sèvres.

Notre vase peut-être rapproché d’un autre exemplaire de vase Kin-Te-Tchin garni, aujourd’hui conservé au Musée des Arts décoratifs de Paris, et sur lequel on retrouve un langage décoratif similaire. Ce dernier est illustré dans l’ouvrage "Second Empire & IIIe République : de l’audace à la jubilation" par Brigitte Ducrot.